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Les 4 Soeurs à la maison : semaine 1 et 2

Découvrez les aventures inédites des Quatre Soeurs pendant le confinement !

QUATRE SŒURS À LA MAISON

Semaine 1 : Toujours groupées 

 

- Mais siiiii, je peux ! Maman m’a dit ouiiii !

- Même pas vrai… Elle ne t’a JAMAIS autorisée à prendre ses chaussures ! Et d’abord, pousse-toi un peu.

Je soupire en posant mon stylo sur mon bureau. Lisa et Luna se disputent encore, c’est la deuxième fois en trente minutes à peine. Je respire un bon coup, lentement.

Je me répète comme un mantra : « TOUT va bien se passer. Ce sont tes petites sœurs et tu les aimes. Oui, elles sont DÉJÀ insupportables MAIS tu les aimes quand même. Oui, elles crient très fort, MAIS tu les aimes quand même ». Une fois ma respiration normale retrouvée, une fois que je suis certaine de ne commettre aucun crime sanguinaire d’hystérique (avec l’écume de rage au bord des lèvres), je me lève et je me dirige vers la chambre de Lisa et Luna.

Je surprends la première en contemplation face à son grand miroir, devant lequel elle fait semblant de chanter en play back. La seconde a transporté toutes les chaussures à talons de notre mère jusqu’ici et elle en choisit une paire.

- Qu’est-ce que vous fabriquez exactement, toutes les deux ? je demande d’une voix douce et suave. Lisa, tu avais une fiche de grammaire à finir. Et toi, Luna, tu devais lire les pages 25 et 26 de ton livre.

- Il est dix heures et trois minutes, c’est l’heure de la récré ! me répond Lisa en désignant sa montre. Donc pendant la pause, je prépare un truc top secret.

- On a eu une idée surprise mais on ne peut pas la dire, et moi j’ai besoin de matériel, m’annonce Luna qui glisse ses pieds dans les escarpins préférés de maman. Alors, la lecture, je la ferai demain… ou la semaine prochaine.

- Certainement pas ! je lui réponds en mode « prof en colère ». Et vous savez qu’avec vos hurlements, vous venez de m’interrompre en plein cours de maths ?

- Ah ? Il est venu ici, ton prof ? répond Luna qui essaie de se hisser tant bien que mal sur les talons de notre mère. Je ne l’ai pas entendu sonner à la porte.

Lisa me regarde, consternée, tout en continuant à chanter dans son micro imaginaire. Je lui souris, après avoir souri à Luna. Je suis pour la non-violence. J’en profite pour sourire… à moi-même dans le miroir qui me fait face. J’ai besoin de me soutenir en ces heures difficiles !  

C’est la première semaine de confinement à domicile pour la famille Juin, comme pour TOUTES les familles en France…

Le jour 1 de l’annonce du confinement, mes sœurs et moi nous avons eu des réactions variées.

Lou,17 ans, a passé un bon moment à se lamenter puisqu’elle allait se retrouver coupée « physiquement parlant » de tout son réseau et surtout du « chéri de sa laîîîfe », Maxime Gandier dit Maxou. Dès le premier soir, elle a exigé d’obtenir un créneau quotidien sur l’ordinateur familial pour « recréer tous ses liens sociaux ».

Moi, Laure, 13 ans, j’ai réalisé en une seconde à quel point j’aimais (beaucoup, passionnément, à la folie) le collège ‒ ainsi que TOUS les élèves, les profs et les cours, y compris ceux de maths et d’histoire-géo ! Je m’en rends compte un peu tard… Je ne vais plus les voir avant un bon moment.

Lisa, 9 ans, a annoncé officiellement qu’elle allait enfin pouvoir se consacrer à des recherches poussées sur la vie des fourmis de notre terrarium puisqu’elle va passer tout son temps à la maison.

Luna, 6 ans, n’a pas semblé fâchée de ne plus aller à l’école… Elle nous a tout de suite parlé d’idées très rigolotes qu’elle allait mettre en place TOUS LES JOURS (aussitôt on a toutes été un peu inquiètes).

En tant que médecin et infirmière, nos parents partent travailler à l’hôpital tous les jours et ils nous laissent seules à la maison. Comme nous sommes quatre sœurs, avec des caractères très différents, papa nous a mises en garde le premier jour du confinement.

 

- Les filles, nous faisons tous face à une vraie crise. On la surmontera ici si on fait preuve de tolérance, de patience et de bienveillance les uns avec les autres. Vous allez vivre ensemble, sans possibilité de vraies pauses. Je ne tiens pas du tout à ce que la maison devienne un ring de boxe. Vous me comprenez ?

On a toutes hoché la tête avec gravité.

- Oui, mais moi je suis toujours sage, a affirmé Luna.

On a continué à hocher la tête, dans un autre sens…

Depuis, nous sommes toutes les quatre en télé-école-collège-lycée. Pour soulager nos parents qui ont besoin de toute leur énergie pour soigner et pour guérir, Lou et moi, on surveille le travail scolaire de nos deux petites sœurs. Elle et moi, on découvre jour après jour la dose XXXL de patience que doivent avoir les enseignant.e.s !

Je retourne dans ma chambre après avoir obtenu un semblant de calme auprès de Lisa et Luna. Plusieurs messages m’attendent sur mon téléphone. En cette période très spéciale, il reste MON lien avec mes amis chéris que je vois uniquement… par écrans interposés.

Je crois que je vais vivre sur le balcona posté Ulysse, mon Best Friend garçon. H 24 avec mes parents (et sans vous, les copines) je ne tiendrai pas !

Tolérance Bienveillance Peace Loveje lui réponds en tentant de m’en persuader moi-même, alors que les voix stridentes des deux petites font trembler les fenêtres, dans la chambre à côté.

Je cherche le bouquin qui peut me sauver la vie pendant le confinementposte presque en même temps Justine, ma Best Friend fille. « Mille façons de se débarrasser de son frère en le faisant souffrir atrocement ». Tu crois que je peux trouver ça ?

Avec le confinement, ma meilleure amie a été obligée de quitter provisoirement l’école des danseurs de l’Opéra de Paris où elle a été admise il y a peu. Elle se retrouve donc chez sa maman avec son frère aîné qu’elle ne supporte pas ! Je souris en lui écrivant ma seule et unique réponse :

Tolérance Bienveillance Peace Love.

Dans la chambre à côté, le vacarme devient intolérable ! Je déboule comme un pitbull dans le couloir… en même temps que Lou. Elle filait elle aussi ventre à terre gronder Lisa et Luna.

- Tu es hyper lookée pour faire du télé-lycée, toi ! je lui lance en désignant sa jolie combinaison fleurie. C’est pour les cours ou bien il y a Maxou derrière ton écran ?

- On peut se rendre virtuellement au lycée et prendre soin de son allure, me répond-elle en haussant les épaules. Je n’ai aucune intention de ressembler à RIEN en passant ma vie en pyjama moumou du matin au soir. Et ce n’est pas parce que j’ai un Skype avec Max dans vingt-cinq min…

Lou se tait. Elle vient d’ouvrir la porte de la chambre de mes deux sœurs et le spectacle est hallucinant. Luna porte une jupe qu’elle est allée piquer dans le dressing de notre mère et qui lui sert carrément de robe longue. Elle est juchée sur des talons hauts et se déhanche en marchant dans la pièce comme un hippopotame coquet monté sur des échasses. Lisa, elle, crie :

- Coronavirus, c’est la guerrrrre. On va te faire tomber par terrrrrre !!

Sa fiche de grammaire en guise de micro.

C’est bizarre, mais toute bienveillance m’abandonne en une seule seconde. Lou semble aussi avoir banni le mot « tolérance » de son vocabulaire.

- Laure, va chercher le scooootch ! hurle-t-elle. Et une corde. Non, deux ! Des solides, hein !

Je pars en courant dans le couloir. J’entends les deux petites L demander d’une voix inquiète ce qu’on veut faire avec ce matériel. La réponse de Lou tombe comme un couperet :

- On va vous bâillonner et vous ligoter sur des chaises jusqu’à ce que les parents reviennent de l’hôpital. C’est le seul moyen pour avoir la paix et finir de travailler tranquillement.

Je laisse exprès passer quelques minutes et, à mon retour, Lisa et Luna ont complètement changé d’attitude. La première est en train de corriger sa fiche de grammaire sous le regard attentif de Lou. Quant à la deuxième, elle a rangé toutes les chaussures de maman, replié sa jupe dans son dressing, et elle semble super intéressée par sa lecture du jour.

Parfois il suffit d’un simple ajustement de ce type pour que les choses se remettent en place ! Quand Lou et moi on découvre à midi que Lisa et Luna ont mis le couvert ET qu’elles ont préparé une salade comme des cheffes, on se dit que OUI, on va arriver à tenir toutes ensemble un bon moment, en fait… même confinées.

Et tant pis si la salade préparée par Lisa est gorgée d’eau, tant pis si Luna a été trop généreuse sur le vinaigre, ce qui rend le repas de midi carrément immonde… l’essentiel, c’est de faire des efforts.

Après le déjeuner, je me remets au télé-collège avec tellement d’énergie que j’arrive à boucler le programme de cours du collège avant 15 heures ! Pour fêter ça, je m’accorde une petite danse de la joie perso ‒ avec écouteurs dans les oreilles et musique à fond pour ne déranger personne… Sauf que mes sœurs ont des antennes invisibles : elles débarquent toutes les trois en même temps dans MA chambre !

- On a fini notre travail, alors on a fait une chartre, lance Luna en agitant gaiement un papier.

- Une char-te, corrige Lisa. Je l’ai appelée la « Charte du bien-vivre, confinées avec ses sœurs ».

- Top comme idée ! On va la lire, ta charte, déclare Lou en s’installant sur mon lit. Mais d’abord c’est l’heure « grands-parents » les filles.

Depuis le début de la semaine, on téléphone à tour de rôle aux parents de nos deux parents, confinés chez eux, loin de Paris. Ça nous prend quelques minutes par jour mais on se dit qu’ainsi on raccourcit la distance et le temps loin d’eux ! Pendant que Luna et Lisa discutent avec leurs deux mamies, Lou et moi on jette un œil sur les nombreux articles de leur charte.

- Tu as remarqué ? Elles ont précisé qu’il est « interdit de bâillonner et ligoter ses sœurs si elles ne font pas un bruit énorme », rit Lou. Elles ont aussi écrit : « On doit sourire à TOUTES ses sœurs au moins une fois par jour ». C’est trop mimi.

On signe toutes la charte écrite par les deux petites L. On est émues par la règle numéro 1 imaginée par notre Luna : « On doit être super gentilles avec papa et maman quand ils rentrent de leur travail le soir parce que, en ce moment, c’est trop trop difficile pour eux ».

Une fois que nos quatre prénoms sont inscrits en bas de la feuille, Lisa prend la charte et elle la parcourt des yeux avec un air très sérieux avant de déclarer :

- Lou, Laure, Luna, l’heure est venue. Appliquons un point essentiel : le numéro 5.

- Ah, lui répond Lou en faisant mine d’être étonnée. Mais que stipule-t-il, chère Lisa ?

- Proposons à Luna de nous en faire la lecture, j’ajoute. Ce sera un petit entraînement scolaire supplémentaire !

Luna très fièrement se penche sur le papier tout froissé que Lisa tient à la main et elle lit, en se concentrant énormément vu ses joues rouges et ses sourcils froncés :

- Il est o-bli-ga-to-i-re d’organiser cinq mi-nu-tes de fo-lie to-ta-le par jour.

Et elle relève la tête. Elle nous regarde tour à tour et fait un sourire de dix mètres de large en répétant « de fo-lie to-ta-le ». Ensuite, elle hurle « Yeaaaaaah » en sortant de ma chambre au galop. On l’entend traverser chaque pièce de l’appartement, en mode sirène. Lisa la suit en criant à tue-tête, elle aussi.

Lou met une musique de Soprano sur son enceinte et on se lance toutes les deux dans une choré digne de devenir THE tuto Sois une reine du dance floor

Ces cinq minutes de délire ininterrompu nous font le plus grand bien… et on finit toutes par s’écrouler, emmêlées, sur le canapé en riant. Luna en profite pour nous révéler sa surprise du jour :

- Quand papa et maman rentreront ce soir, on leur montrera notre spectacle. Lisa va chanter et moi je serai la danseuse à côté.

- Comme ça, on va leur changer les idées ! nous explique Lisa en hochant la tête. Mais j’ai changé de thème par rapport à ce que j’imaginais ce matin. Je ne vais pas parler du virus. Parler du printemps, c’est mieux.

Lou et moi, on hoche la tête tout en félicitant nos petites sœurs pour leur chouette initiative.

En regagnant ma chambre, j’ai un regain d’énergie du coup ! Lisa et Luna m’ont donné envie de trouver de bonnes idées, moi aussi. Je prends mon carnet fétiche pour y noter une liste d’idées que je pourrais peut-être mettre en œuvre à mon tour pour rendre nos vies un peu plus joyeuses.

Mon portable sonne à cet instant. C’est Justine ! Mais elle a une toute petite voix.

- Coucou, Laure, c’est moi, chuchote-t-elle. Tu m’entends ?

- Pas très bien. Pourquoi tu chuchotes ?

- Je suis en pleine observation à ma fenêtre et comme elle est ouverte, je ne veux pas être découverte, m’explique-t-elle encore plus bas.

Par réflexe, je jette un œil à mon tour au-dehors. La cour intérieure de l’immeuble est toujours aussi déserte. Tiens, Mme Martin, la vieille mamie du quatrième étage, est à sa fenêtre. La voir me donne une idée géniale que je m’apprête à griffonner.

- Il se passe des trucs, très, très étranges dans l’appartement en face de chez moi, Laure, continue Justine. Il faut que je te raconte…

Mon stylo reste en suspens au-dessus de mon carnet.

Se pourrait-il que même confinée, ma Best Friend ait un truc incroyable à me révéler ?

 

À SUIVRE...

Semaine 2 : On fait tous des trucs bizarres ! 

- Les cinquièmes B, voulez-vous cesser de discuter et vous mettre immédiatement au travail !

Ulysse me pousse du coude tandis que M. Fabian, notre prof d’histoire-géo, continue sa distribution.

- Cooool… Il a l’air top, ce contrôle, me chuchote mon Best Friend en désignant les feuilles posées devant nous sur nos tables.

- Ouiiii, je lui réponds avec un grand sourire. J’adore les cartes à remplir en plus, ça tombe bien !

Dans la classe, les murmures cessent peu à peu et chacun se penche sur sa copie. Je soupire de bonheur en regardant notre prof qui s’assoit à son bureau pour surveiller notre travail. J’aime ces moments d’intense concentration collective. D’ailleurs j’ai envie de le dire à haute voix, alors je lève le doigt. Et c’est à cet instant que je me réveille…

Ou plutôt c’est à cet instant que Lisa me réveille !

- Ça fait trois fois que tu cries « J’ADOOORE L’HISTOIRE-GÉOOOO ! », me dit-elle d’un air inquiet.

Hébétée, je me redresse dans mon lit en jetant un œil ensommeillé à mon réveil. Il est plus de 8 heures. On est mardi. Normalement (c’est-à-dire hors période de confinement), je suis déjà au collège avec ma 5e B et je subis le cours de M. Fabian, le prof d’histoire-géo le plus sévère de mon collège (et même de France, on peut le dire).

- J’étais en train de rêver de mon prof d’histoire-géo, j’explique à Lisa en me levant. Il nous distribuait nos feuilles de contrôle et je souriais, comme Ulysse d’ailleurs. Lui qui a envie de pleurer à chaque fois qu’on est avec Fabian… c’était surréaliste !

- On fait tous des trucs un peu bizarres en ce moment, déclare ma petite sœur avec un sourire compréhensif.

Je hoche la tête, avant de froncer les sourcils. Lisa a ses chaussons aux pieds mais elle a enfilé son blouson et son sac d’école est posé à côté de mon lit.

- Mais qu’est-ce que tu fabriques ? je lui demande, interloquée. Le confinement a été levé pendant la nuit ?

Lisa n’a pas le temps de me répondre que Luna passe déjà une tête dans ma chambre. Elle aussi est en chaussons-blouson chaud et elle porte son petit cartable sur les épaules.

-Lisa, tu viens ? On va être en retard ! prévient-elle.

- J’arrive ! lui répond cette dernière en ramassant son sac. Sur la route j’ai dû m’arrêter parce que Laure faisait un cauchemar et…

La voix de Lisa se perd dans le couloir. Les sourcils toujours aussi froncés, j’avance prudemment vers la cuisine. Lou y prend son petit-déjeuner. Elle est en pyjama, comme moi.

- Salut ! Euh… tu as vu les tenues de Lisa et Luna ? je lui demande.

- T’inquiète. Elles vont à l’école sans y aller. C’est leur petit rituel depuis hier, m’explique ma sœur avec une moue complice.

Les deux petites L, toujours aussi habillées, franchissent le seuil de la porte et nous saluent d’un geste de la main tout en marchant autour de la table de la cuisine.

- Bonjour madame Zimbrec, bonne journée, lance Luna avec un grand sourire.

Lou les gratifie d’un « Bonne journée mesdemoiselles ! », comme si tout était normal.

Je commence à penser que le confinement fait des ravages chez les Juin. Mais à la fin du petit-déjeuner, je suis rassurée. Mes sœurs ont juste une imagination sans bornes. Comme elles en ont assez d’être coincées à la maison sans pouvoir VRAIMENT aller à l’école, chaque matin elles ont décidé qu’elles accompliraient tout de même leur trajet quotidien. Elles marchent un quart d’heure dans l’appartement, de pièces en pièces, en faisant semblant de rencontrer sur leur route les commerçants habituels… Et elles discutent, comme si de rien n’était, avant de s’asseoir à leurs bureaux pour la télé-école.

Je téléphone à Justine avant de me mettre à mon travail scolaire pour lui raconter le nouveau rituel de mes petites sœurs.

- Avec ce confinement, on fait pas mal de trucs zarbi, commente-t-elle en riant.

- Oui ! Un peu comme toi avec ton enquête, l’autre jour, j’ajoute. Ta voisine qui était soi-disant « séquestrée » chez elle…

Je pouffe en repensant à tout ce qu’a imaginé Justine à partir d’une simple observation de sa fenêtre. Dans l’appartement en face de chez elle, sa voisine a accueilli son fils pour la durée du confinement. Et comme ce dernier est coach sportif, en quelques jours il s’est aménagé une vraie salle de sport dans une chambre de l’appartement avec des barres de traction, des poulies, des sangles, des appareils étranges, quand on les voit de loin…

- Je n’arrêtais pas de l’observer de ma fenêtre. Je l’ai vu pousser des meubles, accrocher des barres et surtout déambuler d’une pièce à l’autre, se justifie Justine en riant à son tour. Comme je ne savais pas que ma voisine avait un fils de cet âge, j’ai cru que quelqu’un installait de quoi la maintenir prisonnière chez elle. Ma voisine séquestrée… Mon frère a ri des heures quand il a appris mon délire !

- Au fait, ça se passe mieux entre toi et Yan ? je lui demande.

- Oui. Mes idées avancent petit à petit. Je pense que je vais le défenestrer avant la fin de la semaine ‒ ou menacer de lui inoculer le covid pour qu’il me fiche la paix au moins quatorze jours.

Quand je raccroche, j’ai tellement ri que je suis de bonne humeur pour le reste de la journée, prête à affronter mon programme de cours et de devoirs à poster.

Lou l’est un peu moins, visiblement…

Je n’ai pas le temps de finir une ligne de calculs qu’elle entre dans ma chambre avec une petite mine (sans frapper à ma porte, évidemment. PERSONNE ne s’annonce jamais à MA chambre qui est juste un hall de gare pour mes sœurs). Elle a eu le temps de se changer puisqu’elle porte un jean et un pull noirs. Moi, mon kif, c’est de traîner en pyjama un bon moment !

- Bon, je pense que le confinement marque la fin de ma belle love story, murmure-t-elle.

Ma sœur aînée est in love depuis plus de deux ans. Mais avec Maxime, le « chéri of sa laîîfe », il y a des hauts et des bas : des disputes sanglantes (comme dit Lisa) et des réconciliations passionnées (« avec bisous sur la bouche, trop beurk », comme dit Luna). Si j’en crois la tête de Lou, elle est entrée en phase… critique.

- Pourtant, ce confinement qui nous sépare physiquement avait bien commencé. La semaine dernière, Max a décidé de me poster chaque jour un poème ou une maxime, en plus de notre Skype quotidien. Une façon de rester lié.e.s aussi spirituellement, tu comprends…

Je hoche la tête en essayant de trouver le dénominateur commun de la fonction de mon exercice de maths numéro 1. J’avoue que les liens spirituels de ma sœur sont parfois aussi obscurs que mes équations !

- Et là, tu vois, c’est la deuxième semaine de confinement, continue Lou. Il est 10 h 07 et je n’ai RIEN reçu.

- C’est-à-dire ? je m’étonne, histoire de relancer la conversation ‒ qui est de moins en moins audible car les deux petites L font la récré dans leur chambre.

- Ben, pas un seul extrait de poésie, tu imagines ! Pas la moindre rime… Hier à 8 h 52 Max m’avait déjà envoyé des vers de Musset, extraits du sonnet Se voir le plus possible.

Lou se met à lire :

« Se voir le plus possible et s'aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu'un désir nous trompe, ou qu'un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son cœur à tout moment. »

- Il a choisi un drôle de titre, hier, Maxou, je déclare. Se voir le plus possible, avec le confinement, c’est chelou…

- Là n’est pas la question ! Aujourd’hui, je me sens vide sans ses mots.

J’ai envie de sourire malgré moi. Max est simplement en retard et Lou en rajoute des tonnes ! Mais comme le dit Lisa, on fait tous des trucs un peu bizarres en ce moment. J’essaie de persuader Lou que la fin de sa belle love story n’est pas pour demain. Elle soupire en fixant son écran muet, avant de se lever d’un bond. Son portable vient de vibrer.

- Ah, ça y est ! Il pense toujours à moi ! s’écrie-t-elle avec un grand sourire. Oh c’est beau… Victor Hugo cette fois.
« Aimons toujours ! Aimons encore ! Quand l’amour s’en va l’espoir fuit, L’amour c’est le cri de l’aurore, l’amour… »

Regonflée à bloc, Lou gagne sa chambre. En ces jours difficiles, les mots que l’on reçoit des autres nous font le plus grand bien.

Bon… TOUS les mots ne nous font pas le plus grand bien ; c’est ce que je me dis en sortant de la salle de bains où je me suis enfin habillée. Je doute que « grosse andouille » et « face de rat bien moche qui pue » (entendus en live dans la chambre de Lisa et Luna) apportent un quelconque réconfort à quelqu’un ! La récréation de mes sœurs dégénère. J’entre dans leur chambre en tapant des mains, comme le faisait ma maîtresse en primaire pour qu’on se range dans la cour.

- Oh ! Là ! On se calme ! La récré est finie !

Je me penche sur les travaux de mes petites sœurs à leur bureau et je corrige ce qu’elles ont fait. C’est difficile de jouer la maîtresse, mais je n’ai pas le choix. Un matin sur deux, c’est moi qui gère leur travail scolaire. Papa et maman essaient de s’en occuper quand ils ont le temps, mais c’est compliqué quand on travaille dur à l’hôpital comme eux. Alors on fait toutes des efforts pour les aider le plus possible (et le mieux possible).

- Luna, tu finis la page 21 de ton fichier de maths, steup ! Et toi, Lisa, tu dois réviser la leçon « Louis XIV Roi Soleil à Versailles ». C’est cool, Versailles.

- Ouais. Sauf qu’on devait aller visiter le château avec le maître et là… bougonne Lisa en faisant sa tête des mauvais jours.

- Oui… là… ben… on peut même pas aller au square ! Et moi je veux voir Loucaaaa et Tooom et Kariiiim !

Mes deux petites sœurs se mettent à pleurer. Je sens que la fin de matinée va être difficile. Je me regarde dans le miroir de la chambre et je me souris pour m’encourager.

- Bon, j’ai une idée, je déclare en m’asseyant au bureau de Lisa. On laisse tomber les devoirs pour le moment. On les reprendra cet après-midi. En attendant, on va faire quelque chose de très important.

Les deux petites L essuient leurs joues, intriguées. Je laisse passer trois secondes de suspense (j’aime bien le suspense) avant de leur annoncer… un atelier dessin.

- On va dessiner ce qu’on rêve de vivre une fois que le confinement sera fini. OK ? Ensuite, Lou devinera sur nos dessins ce qu’on a voulu montrer.

L’enthousiasme est immédiat. Juste après le déjeuner, on s’installe toutes les trois à la table de la cuisine avec nos feutres, nos crayons de couleurs, nos marqueurs, et on passe plus d’une heure à dessiner. J’avoue que ça me fait autant plaisir que mes sœurs ! 

Quand arrive le moment de découvrir et de comprendre nos dessins, Lou (qui s’est à nouveau changée et porte une tenue super fleurie) prend son rôle au sérieux.

- Bon, Laure, c’est clair. Toi, tu rêves de retourner au collège pour discuter dans la cour avec tes cops adorés. Mais dis-moi, qui est ce Beau Gosse dans ce coin avec un cœur sur le tee-shirt ?

Lou désigne Colin sur mon dessin façon manga. Je l’ai illustré en mode discret mais rien n’échappe à Lou Œil de Lynx… Il est THE canon de la mort qui tue de la 3e C. Je rougis un peu avant d’éclater de rire.

- On va dire que le Beau Gosse est un projet post-confinement !

- Lisa, à toi, continue Lou. Tu as l’intention de publier ton livre sur les fourmis dès que tu pourras ressortir de la maison. Et toi, Luna, tu feras un voyage en licorne dans le ciel étoilé en survolant d’abord ton école. J’ai raison ?

Ravies, mes deux petites sœurs hochent sérieusement la tête. Luna précise que son voyage en licorne se fera avec « Louca, Tom et Karim, mais qu’elle n’avait plus de place pour les dessiner sur sa feuille ». On accroche les œuvres sur nos fenêtres pour « mettre un peu de couleurs dans nos vies et dans le quartier », comme dit Lou.

- C’est pour ça aussi que tu portes une robe toute fleurie ? je lui demande.

- C’est le mood du moment, Laure, me précise ma sœur. En confinement, j’ai décidé d’adapter mon look à mon humeur : noir désespoir ce matin, fleurs bonheur cet aprèm ! Je ne sais pas comment je serai habillée ce soir. Affaire à suivre…

Moi, je reste en mode fleurs-bonheur-bonne humeur pour la journée puisque j’arrive à finir mes devoirs plus tôt que prévu : yes ! Je m’accorde deux épisodes de ma série préférée en solo au salon !

Quand nos parents rentrent de l’hôpital, ils sont tous les deux épuisés. On passe un bon moment toutes les quatre à leur raconter notre journée et à essayer de leur communiquer notre énergie.

Et bien sûr, à 20 heures, lorsque toutes les fenêtres de notre immeuble s’ouvrent en même temps et que tous les habitants du quartier se mettent à applaudir et à crier « bravo » pour le personnel soignant de France et tous les aidants, mes sœurs et moi, on hurle encore plus que les autres.

On est trop fières de nos parents !

En me couchant, plus tard, j’obéis à mon rituel préféré : j’envoie des tonnes de bisous à mes deux Best Friends comme tous les soirs du confinement.

Je pense sérieusement à faire un truc de ouf sur mon balcon, me prévient Ulysse, en mode moine tibétain. Je t’en dirai plus.

Je viens d’avoir une ID tellement intelligente que je me demande comment j’arrive encore à marcher avec un cerveau si rempli, me poste Justine à son tour.

Je m’apprête à éteindre mon téléphone pour la nuit lorsqu’un petit bruit familier retentit. Je découvre le message que je viens de recevoir.

Confinement = G enfin le courage de t’écrire.

Si tu me réponds OK je peux continuer.

Je ne connais pas le numéro associé au message.

Je relis douze fois ces deux phrases qui me laissent sans voix.

J’hésite quelques minutes avant de taper sur les touches O et K, puis sur la touche envoi.

« Affaire à suivre », comme le dit Lou…

 

À SUIVRE...

Sophie Rigal-Goulard